samedi 22 octobre 2011

Interview exclusive de Julien Tricard, directeur littéraire d'Endémol Fiction

Julien, pourrais-tu expliquer aux étudiants du Mba de production audiovisuelle  de l'ESG ton parcours ainsi que les expériences qui t'ont conduit à la direction littéraire ?
J'ai commencé par des études juridiques, puis après un DEA de Droit
comparé, j'ai eu vent en 1998 du fait que M6 cherchait des lecteurs
bilingues pour son département coproductions internationales. Après une
série de tests, je suis devenu un des principaux lecteurs de ce
département. J'ai réalisé que l'audiovisuel et la production
m'intéressaient énormément.
Après un passage par le DESS de Daniel Sabatier (devenu aujourd'hui le
Master D2A), j'ai d'abord passé deux ans dans une structure de conseil
spécialisée en audiovisuel (IMCA), puis suis rentré comme chargé d'études
puis chargé de programmes aux fictions d'access de M6, à l'époque dirigées
par Roselyne Brandford-Griffith. J'ai eu la chance de suivre "Ma
Terminale" une série très innovante, portée par le talent et l'énergie
d'un binôme réalisateur/producteur constitué par Stéphane Meunier et
Bertrand Cohen. Après un passage éclair comme directeur littéraire dans la
structure de production qu'ils ont créée ensemble, Terence Films, j'ai
monté une société de conseil. Deux ans plus tard, la direction littéraire
m'a rattrapée, puisque Nora Melhli, qui montait à l'époque Endemol
Fiction, m'a contacté pour faire partie de l'aventure.

En quoi consiste la direction littéraire ?
C'est un métier lié à l'artistique. Il y a deux piliers essentiels à ce
métier: tout d'abord le développement, c'est-à-dire le fait d'identifier
des talents et des projets prometteurs, et de faire travailler les
premiers au service des seconds. In fine, on doit convaincre des
diffuseurs d'investir dans nos projets. Le second pilier, c'est
l'accompagnement des productions. En effet, les textes ont besoin d'être
retravaillés longtemps avant d'être totalement satisfaisants.

Très concrètement, le directeur littéraire est l'interlocuteur privilégié
des auteurs dans une société de production dans le cadre de l'écriture des
différentes étapes menant au rendu de la version définitive d'un scénario.

Pourquoi de plus en plus de sociétés de production font appel aux
compétences de directeurs littéraires ? Quelle est la valeur ajoutée de
cette profession ?
Le secteur se professionnalise depuis une quinzaine d'années à grands pas.
Les diffuseurs sont de plus en plus attentifs au contenu des productions
dans lesquelles ils investissent, à la fois en termes qualitatifs et
éditoriaux, et demandent aux producteurs de suivre l'écriture au plus
près. Il est donc devenu nécessaire, surtout à partir du moment où elles
atteignent une certaine taille, aux structures de production, de se doter
d'interlocuteurs dédiés à l'artistique, et notamment à l'écriture. D'où la
présence de plus en plus fréquente dans les sociétés de production de
producteurs artistiques, de directeurs littéraires, de directeurs
d'écriture, de directeurs de collection, etc.

Une de tes journées type...
Par essence, je n'ai pas de journée type, puisqu'un des attraits de ce
métier est la diversité des situations. Entre la recherche des talents, la
nécessité de communiquer avec les conseillers artistiques dans les chaînes
pour être le mieux informé possible, le suivi des projets, qu'il s'agisse
d'un projet qui fait l'objet d'une convention de développement avec une
chaîne ou d'un projet que nous nourrissons à l'intérieur de notre
structure, de la lecture d'ouvrages, d'articles ou des projets que je
reçois, du visionnage d'un maximum de téléfilms, d'épisodes de séries et
de films de cinéma, chaque journée est riche et ressemble rarement à la
précédente.

Que penses-tu de la relation diffuseur/ producteur et producteur
/scénariste ? Quels conseils donnerais-tu pour optimiser les échanges ou
trouves-tu qu'il n'y a aucune faille ?
La relation diffuseur/producteur est complexe et protéiforme, et varie
selon la nature des interlocuteurs. Je dirais la même chose de la relation
producteur/scénariste. Je ne dis pas ça pour faire de la langue de bois,
mais surtout parce que tout le monde connaît les difficultés du secteur.
Cette question fait d'ailleurs l'objet de nombreux rapports et études.
Toutefois, j'observe que ça se passe souvent bien quand tout le monde se
retrouve autour d'une envie commune et travaille au service d'un projet,
et que les égos sont autant que possible mis de côté.

C'est quoi un bon projet selon toi ?
Un bon projet selon moi apporte quelque chose de nouveau, mais tient
compte de ce qui existe déjà sans le copier, est dans l'air du temps,
répond aux attentes d'au moins un diffuseur, et est travaillé avec
professionnalisme et surtout avec envie. Il ne faut pas oublier que les
producteurs et les diffuseurs reçoivent des montagnes de projets chaque
semaine, et que pour sortir du lot, il ne suffit pas d'avoir une bonne
idée. Il faut aussi démontrer le savoir-faire pour transformer cette idée
en un concept qui tient la route, et montrer qu'on a les épaules pour
l'accompagner jusqu'au bout.

De quelles qualités un producteur a-t-il besoin selon toi ?
Comme je disais tout à l'heure, les producteurs ont des personnalités très
diverses. Mais je pense qu'un bon producteur doit être opiniâtre, et doit
à la fois avoir une sensibilité artistique et les pieds sur terre, car les
pièges sont nombreux.

Ton sentiment sur l'avenir de la fiction française. Quels types de
projets, de formats ? De la place pour les jeunes structures ?
Ca aussi, c'est une question dont les développements risquent de nous
entraîner très loin...
La fiction française se cherche actuellement un peu, et peine à retrouver
l'intérêt d'un public jeune, qui est pourtant friand de fictions US. Nous
sommes les seuls en Europe à être dans cette situation, car partout
ailleurs, les fictions nationales font jeu égal avec les fictions
américaines. Or, en France, souvent quand il y a un problème, au lieu de
chercher la solution, on cherche le coupable. Alors on blâme tour à tour
l'interventionnisme des diffuseurs, le manque de courage des producteurs,
la nouvelle vague qui nous aurait laissé une politique de l'auteur-roi,
etc. Pour ma part, je pense qu'on se sortira de cette crise de la fiction
dont j'entends parler depuis que je travaille dans le secteur, quand on
arrivera à chercher ensemble des solutions, et qu'on cessera de montrer du
doigt ceux qui font des erreurs. C'est vrai qu'il y a du boulot, mais ça
tombe bien, c'est pour ça qu'on est là!

Quant au deuxième volet de la question: il y aura toujours de la place
dans ce secteur pour des nouvelles structures à partir du moment où ces
dernières ont quelque chose de neuf à proposer. Nous sommes dans un marché
qui a constamment besoin de se renouveler, donc qui est réceptif aux
nouveaux talents. Mais c'est très dur de se faire une place, et mieux vaut
être sur de soi et déjà porter un projet en sachant comment le secteur
fonctionne.

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